MESSAGE DE Dr Didier KAMERHE A L’OCCASION DE LA SIGNATURE DE L’ACCORD DE PAIX ENTRE LA RDC ET LE RWANDA Kinshasa, le 30 juin 2025

 

Aujourd’hui, notre pays célèbre le 65e anniversaire de son accession à l’indépendance. Pourtant, près de la moitié de cette période a été marquée par des conflits armés. Après trois décennies d’une guerre injuste, le gouvernement de la République a signé, ce 27 juin 2025, un accord à Washington, considéré comme historique, afin de poser les bases d’une paix durable dans notre pays.

Nous espérons que, par cet accord, le sous-traitant principal des multinationales minières de la région des Grands Lacs reverra désormais ses méthodes, agira dans la transparence, respectera les lois internationales en la matière, en particulier celles de l’ITIE  et observera strictement le nouveau Code minier de la RDC.

Notre enthousiasme est également nourri par le fait que l’implication directe du gouvernement américain devrait obliger toutes les multinationales occidentales basées en Ouganda et au Rwanda  qui tirent largement profit de l’exploitation illicite des ressources naturelles de la RDC  à cesser leur soutien militaire et financier aux voisins de notre pays, ainsi qu’aux groupes armés locaux qui entretiennent de vastes zones de non-droit à l’Est de la RDC, facilitant ainsi leurs pillages. Sauf erreur de notre part, nous pouvons affirmer que cet accord marque peut-être le début de la fin de l’exploitation des « minerais du sang » à l’Est du Congo.

Vieux comme le monde, l’adage dit : « Les mêmes causes produisent les mêmes effets ». Nous espérons qu’il ne s’appliquera pas à notre triste réalité multidéccennale. Car, déjà en 1999, après la rupture d’alliance entre le président Laurent-Désiré Kabila et ses parrains de la rébellion AFDL, le gouvernement de la RDC avait négocié de façon exclusive avec l’Ouganda, aboutissant le 18 avril 1999 à l’accord de Syrte, en vue d’un cessez-le-feu. Malheureusement, le Rwanda  pourtant partie prenante au conflit et qui contrôlait de vastes zones à l’Est du pays, ne reconnut pas cet accord, car il n’y avait pas été impliqué. Ce dernier refusa donc de l’appliquer dans les zones sous son contrôle. L’accord de Syrte sera un échec cuisant, un mort-né diplomatique. Il fallut tout recommencer, cette fois de manière inclusive, en impliquant tous les acteurs internes et externes. Cela déboucha sur l’accord de cessez-le-feu de Lusaka, signé le 10 juillet 1999, puis sur l’accord global et inclusif de Pretoria du 16 décembre 2002. Ce dernier permit le retrait des troupes étrangères, notamment ougandaises et rwandaises, du territoire congolais, ainsi que la réunification administrative de la RDC et son ouverture, encore perfectible, à un processus démocratique.

Nous nous souvenons que le Rwanda a contrôlé pendant plusieurs années l’Est de la RDC à travers le RCD, ancêtre du M23. Nous nous souvenons également des opérations militaires spéciales menées conjointement par la RDF et les FARDC sous Joseph Kabila, censées traquer et neutraliser les FDLR, mais aux résultats mitigés après plus de vingt ans d’interventions.

Vingt-cinq ans plus tard, il ne faudrait pas que cet accord d’espoir ou de désespoir d’un régime en fin de mandat, soit une énième récidive des mêmes erreurs stratégiques commises sous l’AFDL de LD Kabila ou le PPRD de Joseph Kabila. L’expérience congolaise a montré qu’on ne peut résoudre la crise sécuritaire de l’Est par un processus impopulaire, exclusif et bilatéral. Malheureusement, nous constatons que notre gouvernement semble vouloir emprunter à nouveau ce chemin dont on connaît déjà l’issue, avec cette fois le Rwanda comme principal bénéficiaire du deal, et l’Ouganda comme spectateur très intéressé, au moment même où la « naïve » RDC poursuit une mutualisation militaire avec l’Ouganda en Ituri.

Bien que salué dans certains cercles congolais, nous ne pouvons taire nos inquiétudes quant au déséquilibre flagrant des responsabilités et engagements contenus dans cet accord entre le pays agresseur et le pays agressé. Nous considérons comme une fausse note le fait de conditionner le retrait des troupes rwandaises du territoire congolais  et l’arrêt de leur soutien militaire au M23 à la neutralisation préalable des FDLR par le gouvernement congolais. C’est une absurdité diplomatique et une utopie militaire destinée à masquer la balkanisation de notre pays au profit du Rwanda et de ses alliés.

C’est pourquoi nous attirons l’attention de notre gouvernement : les populations congolaises de l’Est n’ont pas besoin d’une paix de façade entre Kigali et Kinshasa, ni d’une accalmie transitoire dans quelques localités où le bénéficiaire du deal de Washington est déjà économiquement actif depuis des décennies. Elles aspirent à une paix durable sur toute l’étendue du territoire, sans que l’on accorde des primes de guerre aux agresseurs, et en garantissant justice et réparations – ne fût-ce que symboliques  aux victimes congolaises.

Dans l’espoir de voir la signature de l’accord de Washington suivie immédiatement d’un véritable processus global et inclusif pour la pacification du pays, avec une analyse profonde des causes des conflits récurrents à l’Est, et tout en évitant les ruses stratégiques de nos deux voisins ou les superficialités de la CVR du Révérend Nkuye (2004–2006), ou encore les erreurs méthodologiques de la Conférence de Goma de 2008 présidée par l’abbé Malu-Malu, nous félicitons le Président Félix Tshisekedi pour ses efforts de pacification et l’exhortons à :

finaliser le chantier de la cohésion nationale, socle du véritable « Camp de la Patrie » ;

et mettre en place rapidement un cadre officiel de dialogue pour décanter la crise politique et sécuritaire de manière holistique.

Car, comme le disait Albert Einstein :

« La folie, c’est de refaire toujours la même chose et d’espérer des résultats différents. »


 Dr Didier KAMERHE

Comments

Popular posts from this blog

LIKASI/Un réseau mafieux dénoncé : le Président de l’ASBL FOBAC alerte sur les activités d’un citoyen grec dans le Haut-Katanga

Des notables de Fizi échangent avec le Maire adjoint de Bukavu sur le développement constructif

RDC : Les ressortissants du Kivu réfugiés à Kinshasa et Lubumbashi passent par les cachots pendant deux semaines avant d'être relâchés sous une amende. Christian BAHATI FOBAC dénonce cette stigmatisation